De Ushuaïa à Anchorage, 24 500 km, 14 pays, et 45 jours sur ma Roadmaster.
J’aime l’aventure, j’aime voyager en moto et me perdre sur des routes sans fin, c’est pourquoi j’ai décidé de faire la Panamericana. Je voulais la faire seul et vivre l’aventure dont j’ai toujours rêvé - ma moto, moi et des routes sans fin.
Bien que l’itinéraire habituel aille du nord au sud et à une meilleure saison, j’ai décidé de le faire du sud au nord, en profitant que c’était l’été dans l’hémisphère sud et en considérant que ces routes seraient les plus pénibles. Une fois aux États-Unis, les routes seraient beaucoup plus faciles.
Le premier défi était de traverser l’Amérique du Sud puis l’Amérique centrale. Au départ, l’idée était de le faire avec une bonne machine tout-terrain sans beaucoup d’électronique, mais pendant la Daytona Bike Week, je suis tombé amoureux de l’Indian Roadmaster, et je l’ai achetée. J’ai parcouru près de 10 000 km avec elle et j’ai adoré chaque kilomètre. J’avais une confiance totale en elle, même si c’était une moto de grand tourisme.
Contre tout avis, j’ai décidé de partir à l’aventure avec mon Indian Roadmaster. Mon aventure a commencé lorsque j’ai reçu la moto à Punta Arenas, au Chili.
Mon bon ami Peter Wurmer s’est chargé de me l’envoyer de Los Angeles.
Depuis que j’ai commencé le voyage au départ d’Ushuaia, tous les motards que j’ai rencontré ont admiré mon Indian, une marque mythique, mais sans représentation dans ces pays à l’époque. De nombreux motards communiquaient et suivaient l’aventure par le biais des médias sociaux, mais lorsque j’ai rencontré Mario Arturo Montoro, du grand groupe de motards chiliens appelé “La Hermandad del Sur”, à un péage, le nombre de suiveurs a considérablement augmenté et certains sont même venus me saluer sur la route. À tel point que dans certaines stations-service, tous les employés sont sortis pour prendre une photo avec le “gringo de l’Indian”.
Amis motards partout, je me suis senti très soutenu.
À un poste de contrôle de police au Panama, tout près de la frontière avec le Costa Rica, j’ai été arrêté parce qu’un agent d’immigration avait oublié de viser mon permis de conduire. La police a confisqué la moto et m’a hébergé dans un hôtel jusqu’au procès. J’ai appelé Franco Santalucia, un ami motard que j’avais rencontré la veille à Panama City. Au bout d’une demi-heure, Eros, président du 507 Extreme Club, m’a informé que quelqu’un viendrait me chercher le lendemain pour m’emmener au tribunal.
Le lendemain matin, Meibis Zamudio, une charmante Panaméenne, est arrivée et a passé la journée avec moi au tribunal, faisant tout ce qui était nécessaire pour résoudre mon problème. En fin d’après-midi, j’ai été jugé et acquitté mais escorté hors du Panama.
La fraternité des motards du monde entier n’est-elle pas formidable ? Je vous remercie pour cela.
Bien que j’ai emporté une petite tente et un sac de couchage, j’ai toujours trouvé un endroit où je pouvais me reposer et garder la moto à l’abri. Souvent de manière originale.
J’ai reçu de plus en plus de messages de soutien et cela m’a donné de l’énergie. Malgré les difficultés sur les pistes de terre et l’essence à très faible indice d’octane, j’étais ravi de ma moto.
Le passage en Amérique centrale a été un peu plus compliqué et le GPS ne fonctionnait pas, mais je devais continuer à aller vers le nord. Traverser trois pays le même jour est une expérience très curieuse. Dans certaines régions, il était très effrayant de voir le calibre des armes que portaient certains gardes...
Après avoir parcouru près de 16 000 km sur la moto, dont une grande partie hors route, je me suis rendu chez un concessionnaire de motos à San Luis Potosi, au Mexique. J’ai rencontré le propriétaire, Ricardo José, et j’ai demandé une vidange, mais ils ont aussi changé le filtre, nettoyé le filtre à air et lavé la moto. Lorsque j’ai voulu payer, il m’a dit : “Profitez-en, c’est un honneur de faire cela pour vous”. Il était impossible de payer quoi que ce soit. Encore une fois, je tiens à les remercier pour leur gentillesse.
A Los Angeles, j’ai changé les pneus. Je pouvais voir qu’ils avaient souffert sur les chemins de terre et des trous dans la chaussée. J’ai rencontré mon bon ami Peter Wurmer, autrefois grand motard et créateur d’Eagle Rider, il m’a félicité d’être arrivé et m’a demandé si j’attendais de meilleures conditions météorologiques en mai pour poursuivre le voyage jusqu’en Alaska. Pas question ! Mon intention était d’aller de l’avant et de continuer vers le nord, malgré la mauvaise saison météo qui m’attendait dans cette direction.
J’ai commencé à voir de la neige sur le bord de la route sur la Transcanadienne 1, en approchant de Kamloops, au Canada.
A partir de là, la route a commencé à devenir plus compliquée, et je devais faire très attention : la glace et la neige devenaient de plus en plus fréquentes. Les températures ont beaucoup baissé, et j’ai dû changer mes baskets pour une paire de bottes que j’ai acheté en chemin.
Je voyais déjà des panneaux indiquant l’Alaska, ce qui me remontait inconsciemment le moral et me rapprochait de plus en plus du Grand Nord. L’un des panneaux indiquait que du 1er octobre au 30 avril, les voitures et les camping-cars devaient avoir des pneus d’hiver et des chaînes pour les camions. Rien n’était précisé pour les motos ! J’ai donc continué ma route.
La route commençait à être blanche à plusieurs endroits, mais je pouvais encore bien rouler, et je suis arrivé à Bell Lodge où se trouve The Last Frontier Heliskiing, l’un des plus grands centres d’héliski et des plus connus.
Pendant que je faisais le plein, un bûcheron est arrivé avec son vieux camion et pendant que nous parlions, il m’a recommandé de ne pas continuer car il venait de la direction que j’empruntais, il neigeait et la moto ne passerait pas. Encore une fois, je me suis dit que si j’étais arrivé jusqu’ici, ce n’était pas pour m’arrêter là.
En hiver, dans le Nord, les stations-service sont sans surveillance. Dans l’une d’elles, il y avait trop de neige et ma moto m’a échappé. Il n’y avait aucun moyen de la soulever tout seul. Après un moment, j’ai vu de la fumée sortir des arbres, je me suis approché et j’ai trouvé une maison. J’ai frappé à la porte et une gentille personne m’a immédiatement accompagné jusqu’à la moto pour m’aider à la soulever. À partir d’ici, la route était enneigée, on voyait rarement un tronçon nu.
Lorsque je suis arrivé à la frontière de l’Alaska, un des policiers était un motard et, très gentiment, il m’a dit que depuis 14 ans, il n’avait jamais vu de moto à cette époque de l’année. Il a essayé de me décourager d’aller à Anchorage en me disant que le parc était fermé à cause de la neige et de la tempête annoncée. En réalité, il était très inquiet pour moi dans de telles conditions. Pour le rassurer, j’ai fait semblant de me rendre à l’hôtel le plus proche pour y rester.
Ce jour-là, j’ai parcouru 1 093 km en 15h30. Je savais que c’était ma chance et je l’ai saisie. J’ai finalement atteint Tok - Alaska, à seulement 530 km d’Anchorage. Je savais que j’avais atteint le point le plus au nord et qu’après Anchorage, il ne restait qu’un seul col à franchir.
Le lendemain matin, la route commençait à être en meilleur état, et j’allais plus vite. En m’arrêtant à une station-service, j’ai rencontré un couple local avec un pick-up chargé de bois de chauffage.
Ils étaient très interloqués devant mon périple incroyable et m’ont dit une fois de plus que je n’y arriverais pas car il y avait un col enneigé plus loin.
Le paysage était immense et le ciel était devenu très menaçant à mesure que je montais… Je pense que ma Roadmaster était aussi excitée que moi de surmonter cette dernière épreuve. Enfin, nous avons atteint le sommet ! Cependant, je n’avais pas imaginé que la descente de l’autre côté serait aussi glissante et délicate. Finalement, les virages ont disparu et c’était beaucoup plus facile. La pluie m’a accompagné jusqu’à Anchorage, où je suis entré en hurlant de joie.
Contre toute attente, j’avais réussi. Seul oui, mais toujours accompagné de tous les amis et motards qui m’avaient suivi pendant ce long voyage et qui m’appelaient et m’écrivaient tout au long du parcours !
J’ai traversé 14 pays en solo, du sud au nord de l’Amérique, sur une Indian Roadmaster. Beaucoup de gens me demandent comment j’ai pu parcourir autant de kilomètres sur la neige. J’ai eu beaucoup, beaucoup de chance car je savais que si je tombais, je ne pourrais pas me relever.
La température la plus basse était de -23º selon le thermomètre de la moto, et la preuve en sont les glaçons sur le garde-boue avant. Je n’avais pas de vêtements préparés pour ces températures, mais la
selle et les poignées chauffantes m’ont beaucoup aidé.
Le livre que j’ai écrit sur ce voyage (« América en moto » Editions Cegal*), est basé sur la compilation des notes que je prenais quotidiennement avec les données comme les kilomètres, les heures sur la moto, les moyennes, les problèmes, et de multiples anecdotes d’une aventure extraordinaire.
Je suis toujours heureux avec mon Indian Roadmaster de 2016 avec laquelle je continue à rouler pour parcourir des milliers de kilomètres à travers les États-Unis.
Víctor Muntané
*commande du livre à victormp@me.com
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